Sapan et les villages ethniques de Nan : immersion dans le nord authentique de la Thaïlande
Cela faisait plus de 10 ans que je n’avais plus remis les pieds dans la région. Nan, province du nord de la Thaïlande et frontalière du Laos (dont cette partie est la seule située à l’Est du Mékong), est une région qui reste assez peu visitée par les visiteurs étrangers, préférant les plus classique Chiang Mai, plus à l’Ouest, ou encore Chiang Rai, plus au nord.
Quand l’occasion s’est présentée, j’étais ravie de revenir dans cette province qui m’avait laissée une bonne impression lors de mon dernier passage. Après avoir passé quelques jours en ville avec Jitima, le temps de redécouvrir ses principaux temples — certains, comme le fameux Wat Phumin, étant encore en rénovation —, je partais explorer les montagnes du nord, seul cette fois, Jitima devant reprendre le travail.
C’est dans ce contexte que je prenais la route vers le district de Bo Kluea, connu pour ses mines de sel, en direction du village de Sapan, au milieu des montagnes et des rizières, devenu ces dernières années un lieu de villégiature prisé des Thaïlandais.
Des routes aux courbes photogéniques
Je n’y étais malheureusement pas à la belle saison, où la verdure et végétation luxuriante de la saison des pluies, embellissent à merveille ses paysages montagneux – la mousson rebutant par défaut; mais dites vous qu’aller dans le nord de la Thaïlande en Juillet par exemple, fait toute la différence en termes de couleurs (j’en parle ici).
Cela dit, parcourir les routes sinueuses de la région reste une expérience appréciable toute l’année. Et justement, avant d’arriver à ma première destination du jour, j’avais tout le loisir de profiter du paysage.
En préparant cette journée, j’avais étudié plusieurs itinéraires possibles pour rejoindre les mines de sel de Bo Kluea (indiquées sur Google Maps sous « Sin Thao Rock Salt Pond« ). Par défaut, la route principale, qui traverse les montagnes par le Doi Phu Kha National Park (le plus connu des parcs nationaux de la région) via la 1256, semble être le choix évident. Mais en y regardant de plus près, il est plus rapide de couper à travers les montagnes.
Deux options s’offrent alors : emprunter la route 1257, la première bifurcation depuis la route principale (la 1225, si vous arrivez comme moi depuis Nan), pour ensuite remonter par la 1081, ou continuer sur la route principale jusqu’à une jonction plus haut pour rejoindre directement la 1081. Comme le montre la carte ci-dessous, cette seconde option, légèrement plus courte, avait ma préférence.
Et ça tombe bien, car c’est l’option qui m’intéressait le plus, elle me faisait passer par une célèbre courbe en forme de 3, rendue populaire par les réseaux sociaux.
En quittant donc la route 1225, mon premier arrêt le long de la route 1081 était marqué sur la carte « U-shaped road », car en effet, la route marque là un virage en épingle formant un U caractéristique des routes de montagne.
Vous y trouverez un parking en terre battue sur le côté, permettant de s’arrêter sans gêner la circulation (depuis mon passage, un particulier semble avoir exploité le terrain en y ajoutant un petit café/restaurant avec 3 bungalows à côté).
Au milieu du virage, trône de grosses lettres, indiquant en anglais ‘I Love’, ‘J’aime’…. les virages ? la nature ? Et non ! You ! comme c’est un virage en U, ça forme donc le terme « I Love U » (« je t’aime », je m’en suis seulement rendu compte en ajoutant la photo sur mon article…)
L’intérêt de cet arrêt réside surtout dans le point de vue offert sur les hauteurs, malheureusement très marqué à cet endroit par la déforestation (un aspect de la région qui m’avait particulièrement frappé lors de ma première visite de la province).
Je reprenais la route, mais pas pour longtemps, car je m’arrêtais quelques minutes plus tard en arrivant à la fameuse courbe en forme de 3. Dès que j’aperçois la foule massée sur les bas-côtés, avec un parking aménagé débordant de voitures, je comprends que je suis au bon endroit.
Je me gare à l’arrache, juste le temps de prendre deux ou trois photos, et ne m’attarde pas. Être là en plein week-end n’était clairement pas le meilleur plan pour espérer un peu de tranquillité. Je note que ce genre de lieu est bien symptomatique de la recherche de spot instagrammable…
Il illustre bien le phénomène actuel : l’attractivité presque démesurée d’un spot popularisé par les réseaux sociaux. Ironiquement, c’est justement parce que j’avais vu passer de nombreuses photos de cette courbe que je voulais la découvrir moi-même… La boucle est bouclée.
Quelques minutes plus loin, j’arrivais à un endroit nommé « Zero Curve Viewpoint ». Pourquoi « zéro » ? Ne me demandez pas, je cherche encore la réponse… On retrouve ici un autre virage en épingle, avec un petit café local installé sur le parking.
Vous pourrez y déguster un Pad Ka Phrao (un de mes plats favoris) si jamais vous avez une petite faim. Une plateforme aménagée permet également d’admirer, une fois de plus, les montagnes qui nous entourent, avec cette fois, une forêt bien plus présente.
Avant de redescendre vers la vallée de l’autre côté, je faisais un dernier arrêt à un point nommé Tortuous Road Viewpoint (qu’on pourrait traduire par « Point de vue sur la route tortueuse »). Une nouvelle belle vue s’offrait à moi, dévoilant en contrebas la route en S qui m’attendait pour la suite du trajet.
À noter qu’à chaque arrêt, je croisais quelques touristes – presque exclusivement locaux – mais, hormis la fameuse courbe en 3 (et surtout en dehors des week-ends), cette route reste globalement assez calme.
Les mines de sel de Bo Kluea
Avant d’arriver au village, fidèle à mes habitudes, je marquais une pause dans un café local. Si le café en lui-même n’était pas mémorable (oui, j’avoue être difficile sur ce point), la vue sur les rizières apportait une touche agréable. Cependant, comme on était en saison sèche, les champs étaient bien moins photogéniques que dans leur pleine splendeur verte ou dorée.
Le cadre avait néanmoins son charme, assez pour me convaincre d’y casser la croûte malgré un menu assez restreint. Cela dit, inutile de partager l’adresse ici, car en vérifiant, j’ai appris que le lieu a depuis fermé définitivement. Voilà pourquoi je reste souvent prudent avant de recommander des cafés ou restos : les choses changent vite !
Enfin, j’arrive à Bo Kluea, un village qui porte bien son nom, puisque celui-ci signifie littéralement « puits de sel ». Ce lieu est célèbre depuis plusieurs siècles pour son exploitation artisanale du sel. L’eau naturellement salée est extraite de puits profonds avant d’être transformée en sel comestible ou médicinal.
Aujourd’hui, deux puits publics restent en activité, l’un situé au sud du village et l’autre au nord, près de la rivière Mang. C’est ce dernier que je visitais. Bien que l’extraction ne se fasse que pendant la saison sèche (de novembre à avril en théorie), il n’y avait malheureusement pas grand-chose à voir le jour de mon passage.
Le site en lui-même est assez sommaire, mais il témoigne d’un savoir-faire ancestral. À l’intérieur d’une cabane, plusieurs fours alignés sont installés pour chauffer des poêles semblables à des woks géants. Le processus reste simple : l’eau saumâtre est extraite du puits, souvent grâce à des tuyaux en bambou, puis versée dans ces immenses woks.
L’eau est chauffée pendant 4 à 5 heures. Une fois que le sel commence à cristalliser, il est retiré à l’aide d’une grande louche et placé dans des paniers en osier suspendus au-dessus des woks. Le surplus d’eau s’égoutte alors lentement, retournant dans les poêles pour poursuivre le cycle jusqu’à évaporation complète.
Le sel ainsi récolté est ensuite stocké dans un coin de l’abri, prêt à être vendu. Si une partie sert de sel de cuisine classique, ce sel montagnard, plus rare, est également utilisé pour ses propriétés médicinales. Il est transformé en produits variés comme des sels de bain aromatisés, des gommages corporels ou encore des savons. Vous trouverez ces articles en abondance dans les échoppes autour des puits.
Mais pourquoi trouve-t-on du sel dans les montagnes, me direz-vous ? Bien que ce sel ne soit pas iodé comme le sel marin, son origine est bien liée à la mer. Des études géologiques ont révélé que cette région était une zone côtière il y a plusieurs millions d’années, lors de la période du Permien, entre 250 et 299 millions d’années en arrière. Les précipitations salines de cette époque sont à l’origine de cette ressource naturelle unique en son genre.
Ban Pa Kam : un village perdu de l’ethnie Lua
Avant de rejoindre Sapan pour la nuit, j’avais encore un peu de temps devant moi. Par conséquent, je quittais Bo Kluea pour m’enfoncer dans les montagnes. En préparant cette journée, je souhaitais caser une visite de village ethnique entre Bo Kluea et Sapan.
Evidemment, je pouvais pas non plus choisir un village au pif une fois sur place, ni me permettre de partir sur une piste pendant des heures. J’avais donc anticipé la question en cherchant sur Google Maps (ma bible du voyage).
Il me fallait une option à la fois raisonnablement proche de la route principale et en direction de Sapan. Avec mes critères en tête, un village semblait intéressant et retient mon attention : Ban Pa Kam.
Par intéressant, j’entends la présence de maisons dans un style traditionnel, visible sur les quelques photos partagées par des visiteurs, mais aussi la mention de son appartenance à la tribu Lua.
D’un point de vue pratique, Ban Pa Kam cochait toutes les cases : seulement 7 kilomètres de détour depuis la route principale, et donc un accès – paraissant du moins – facile. Et le nom de cette tribu montagnarde m’étant inconnu, j’avoue que ça attise ma curiosité. Une rapide recherche sur Wikipédia (en anglais) m’apprit que les Lua sont originaires du Laos, ce qui fait sens compte tenu de la proximité géographique de la province de Nan avec ce pays.
D’ailleurs, d’un point de vue ethnique et linguistique, les Lua (appelé Thin, T’in ou Htin chez leur voisin) sont apparentés au Mlabri et au Khmu, d’autres tribus qu’on peut croiser dans cette même région.
Je rentre les coordonnées GPS et c’est parti mon kiki. Le souci, parfois, avec Google Maps, c’est que sans « Street View », on ne sait pas trop dans quoi on s’embarque… Pour l’anecdote, depuis ma visite, la fameuse Google Street Car est passée par là, et maintenant, on peut voir la moitié du trajet en Street View ! Mais à ce moment-là, je partais vers l’inconnu…
Alors soyons honnête, je me doutais bien que ce serait probablement un chemin non goudronné, mais j’avais aucune idée de l’état de la route en question…
Point important : je rappelle que j’ai un véhicule de type SUV avec 4 roues motrices, sans quoi je ne m’aventurerais pas de la sorte.
Sachant qu’on était en saison sèche, je me disais que le risque était limité et le moment venu, je m’engageais donc sur cette route de montagne, sans trop savoir ce qui m’attendait…
La montée, je dirais qu’elle s’est faite en plusieurs étapes. Dans un premier temps, j’ai l’agréable surprise de constater que c’était une route en béton, courant ici dans les campagnes et les montagnes justement mais je m’y attendais pas particulièrement ici. Mon espoir était que ça se prolonge le plus loin possible mais après 1 km environ, le béton disparaissait d’un coup pour laisser la place à un chemin en terre.
Au début, rien d’inquiétant. Le chemin, bien que recouvert de gravier, ne présentait ni ornières ni grandes difficultés. Les premières minutes se passent sans encombre. Je longe à flanc de colline jusqu’à atteindre un petit hameau composé d’à peine quelques maisons. Je suis alors à un peu moins de la moitié déjà et jusque-là c’est easy peasy.
Mais c’est précisément après ce hameau que les choses ont commencé à se corser. La route devenait plus rude, cabossée et prête à mettre à l’épreuve ma voiture… et mes compétences de conducteur.
Quelques passages demandent à rouler au pas, quelques montées me font même douter, patinant quelques fois, mais finalement, ça passe et je continue ma progression. Je change de flanc et admire le paysage, constatant avec une certaine amertume les ravages de l’agriculture, à la fois conscient que ces gens vivent de ça, mais rasent pour se faire des pans de montagnes entiers (en brûlant tout au passage).
Comme je m’arrête régulièrement faire des photos pour documenter cette petite aventure, plus la prudence liée à la présence sur la route de gros cailloux et quelques ornières, il me faudra pas moins d’une heure complète pour effectuer les 7 km !
Je me garais comme je pouvais en contrebas de la partie principale du village, prêt à continuer l’exploration à pied. Je reprenais le chemin principal, celui que je suivais juste avant en voiture, et croisais rapidement mes premières maisons traditionnelles. Facilement reconnaissables, elles reposent sur des pilotis, mêlant bois et bambou pour leur structure, et affichent des toitures en pente douce recouvertes de chaume.
Après environ 500 mètres de marche, je tombais sur une petite construction en dur qui s’avérait être le petit hôpital local. Enfin, hôpital, c’est un grand mot : cela ressemble davantage à une clinique. Ce qui reste impressionnant, c’est que même dans un village aussi isolé, il existe un accès basique aux soins. De quoi gérer les petits bobos du quotidien sans devoir systématiquement redescendre dans la vallée.
Si j’avais poursuivi un peu plus loin, je serais tombé sur l’école du village. c’est presque systématique en Thaïlande : chaque village dispose de son école primaire. Cela évite aux enfants de devoir parcourir de grandes distances chaque jour, au moins jusqu’à l’entrée au collège.
Après l’école, je remarque sur Google Maps que la route continue à serpenter dans les montagnes, desservant plusieurs autres petits villages avant de redescendre par un autre chemin vers la vallée.
Je rebrousse alors chemin et retourne vers la partie principale du village. Je prends un petit sentier qui monte vers la partie haute et, là, je croise les premiers habitants. Un groupe de jeune me fera alors un accueil digne de la réputation du pays, tout en sourire !
S’il peut arriver que les anciens dans ce genre de village ethnique ne parlent pas le thaï, mais seulement leur dialecte, là, ce sont des jeunes donc aucun problème pour faire les petites discussions d’usage quand on se retrouve perdu dans ce genre de quoi (genre qu’est-ce qui t’amène, d’où tu viens, etc.)
Quelques mètres plus loin, j’assiste au chantier de la construction de deux maisons. Ces dernières sont plus « modernes » puisque, bien qu’étant sur pilotis tout de même, ont une structure et des murs tout en bois (avec même des pilotis en béton pour l’une).
En discutant avec une jeune du village, regroupée avec plusieurs femmes pour observer la progression de ces nouvelles maisons, j’apprends que ces dernières sont assemblées en seulement 4 – 5 jours.
Je suis resté moi-même un certain temps à admirer les hommes du village s’afférer dans cette activité rythmant la vie locale, remarquant que beaucoup de monde m’observent également, probablement peu habitué par cette visite inhabituelle.
Étant arrivé à 16h tout pile et approchant alors des 17h, je ne peux pas trop traîner, car la nuit tombe plutôt vite en Thaïlande.
Alors que je redescendais vers la voiture pour repartir, je vois une petite dame d’un certain âge, avec sa coiffe cachant partiellement ses cheveux cendrés, afficher un sourire curieux, dévoilant sa dentition marqué par des années de mastication du bétel (une noix d’arec, aux propriétés addictives, qui abîme et provoque une coloration durable de la dentition).
Après un échange de courtoisie, l’occasion était trop belle pour ne pas prendre une photo. Bien sûr, il est de bon ton dans ce cas de demander son consentement avant de le faire. Après son accord, je me suis contenté dans la précipitation de capturer une photo générale, sans insister sur un portrait en gros plan. Je ne voulais pas abuser de sa gentillesse.
La descente fut plus rapide, cette fois, connaissant déjà le chemin. Et puisque le village était relativement proche de ma prochaine destination, il ne me fallut qu’une heure pour atteindre mon hôtel depuis Ban Pa Kam.
Sapan : nuit paisible entre montagnes et rizières
Timing parfait, j’arrivais juste avant la tombée de la nuit. Enfin parfait… j’ai du coup pas eu la possibilité de vraiment m’attarder autour de Sapan, car le temps de prendre mes quartiers, et les étoiles pointaient déjà le bout de leur nez en ce ciel clair de février.
Sapan étant un lieu à la mode, les hôtels ne se privent pas sur les tarifs, difficile de trouver des hébergements (du moins facile à réserver) en dessous des 60 €… Pour vous donner un ordre d’idée de la clientèle ciblée ici (même s’il est certainement possible de trouver plus simple et moins cher mais tout de même, ça donne une tendance générale), voici un exemple d’hôtel que vous trouverez dans cette vallée prisée des thaïlandais :
De mon côté, j’ai opté pour le Baan Midao. Outre le tarif pas trop élevé, il est bien situé, un peu en retrait de la zone principale donc au calme, et en hauteur pour une vue dégagée. De plus, il a son propre restaurant, un vrai plus car même si c’est pas si loin, ça m’a évité de redescendre vers la zone centrale pour le dîner.
Ils ont des chambres assez variées en type et tailles, réparties sur plusieurs niveaux. Je voulais avoir une vue donc j’ai pris une chambre avec terrasse et salle de bain privative (type V), pas la moins chère mais ils ont aussi des chambres plus basiques (sans toilette et salle de bain) à partir de 25 €. Si vous êtes en famille, ils ont également de grandes chambres pour 3, 4 ou même jusqu’à 6-8 personnes.
- Vous pouvez voir leurs chambres et tarifs ici si ça vous tente !
Après une nuit plutôt calme, le lendemain matin, je profite du paysage depuis la terrasse du restaurant, café à la main, face aux montagnes. Pas de brume ni de mer de nuages à cette saison, mais la vue reste agréable. Malheureusement, je ne m’attarde pas trop : une longue journée m’attend sur les routes.
Pas de regret cependant car pour vraiment profiter de Sapan, mieux vaut y venir pendant la saison des pluies (sauf éventuellement en Septembre, Octobre). Cela peut paraître contre intuitif pour beaucoup, si vous ne connaissez pas la mousson, mais il faut comprendre qu’il ne pleut pas en permanence, ce sont souvent des pluies certes intenses, mais courte, qui ont lieux généralement qu’en fin d’après-midi ou le soir.
Hors c’est à cette période que les rizières seront bien verdoyantes et la nature luxuriante révèlent toute sa beauté. À défaut, même si là ça peut être blindé de monde, il faut venir au début de l’hiver, quand les nuits sont fraîches et que les vallées sont couvertes de brume le matin, cela donne du caractère au panorama.
Alors peut-être à une prochaine fois, Sapan !